Définition, origine et enjeux philosophiques.
Par anthropologie, on entend un savoir cohérent sur l'Homme. L'anthropologie peut être commune ou savante et elle prend alors deux formes, philosophique et scientifique. Dans toutes les cultures, on trouve une conception de l’être humain, une anthropologie commune. Celle-ci joue un rôle important, car elle fonde l’identité collective et elle est généralement défendue avec âpreté. Spontanément reprise par chacun, elle est à la fois explicite (mythes et religions) et implicite (les mœurs).
L’anthropologie scientifique appartient au domaine des sciences humaines et sociales. Elle s’est majoritairement orientée vers l’étude empirique des organisations socioculturelles. L'anthropologie philosophique cherche à donner une vision synthétique de l'Homme et de sa place dans le Monde. Elle répond, de manière philosophique, à la question : qu'est-ce que l'Homme ?
Dans la modernité, Emmanuel Kant a proposé une double approche, celle d'une connaissance qu'il a qualifiée de « physiologique » et celle d'une connaissance « pragmatique » (Préface à l'anthropologie d'un point de vue pragmatique, 1798). La connaissance physiologique concerne ce que « la nature fait de l’homme » (was die Natur aus dem Menschen macht). Connaître les hommes d'un point de vue pragmatique, c'est étudier leurs conduites, c'est les considérer comme des êtres agissants en incluant le fait qu'ils soient capables de jugement et puissent agir librement. Ce qui correspond à la division fondamentale qu'il opère entre déterminisme et liberté.
Un renouveau de l'anthropologie scientifique s'est produit au XIXᵉ grâce à la physiologie, la médecine, la psychologie empirique. L’humain a été saisi dans l’histoire et dans la culture. Les travaux de Darwin (On the Origin of Species, 1859 ; The Descent of Man,1871) sont venus ébranler les convictions de l'anthropologie commune. En philosophie, Hegel (Philosophie de l’esprit, 1830) a tenté de replacer l’homme comme moment de l’Esprit par un idéalisme absolu. Simultanément et s'accentuant au XXᵉ siècle, l'anthropologie savante a été transformée par les sciences de l'homme, de la culture et de la société. On glisse vers une recherche factuelle sur les humains dans divers domaines : psychologique, linguistique, culturel, social.
Une crainte s'est fait jour chez les philosophes : le risque d'une anthropologisation de la pensée et de la philosophie. Au XXᵉ siècle, Edmund Husserl, Martin Heidegger et Michel Foucault ont, pour des raisons différentes, contesté l'anthropologisation de la philosophie. Heidegger s’inscrit dans cette rupture. Selon lui « L’anthropologie ne peut jamais fournir un fondement à la philosophie » (Kant und das Problem der Metaphysik,1929).
Michel Foucault, dans Les Mots et les choses (1966), signale la « complexité de la configuration épistémologique » des sciences humaines. Elles butent sur deux paradoxes : l’homme est posé à la fois comme objet empirique et comme sujet transcendantal ; la représentation serait objet de science et simultanément condition de toute science. Effectivement, pour juger d’une science, il faut évaluer les objets qu’elle se donne, les méthodes qu’elle emploie et l’ontologie sur laquelle elle s’appuie.
Le philosophe est confronté à l'anthropologie commune et il se doit de l'interroger. À distance par rapport à elles, il est bien placé pour synthétiser les données des diverses sciences s'intéressant à l'Homme, que ce soit la biologie, la médecine, la sociologie, la psychologie, la linguistique, etc. L'anthropologie philosophique pourrait rendre compte rationnellement de la spécificité humaine en proposant des synthèses, des récits plausibles.