Même s'il existe des arguments scientifiques sérieux pour réfuter l'efficacité de l'hydroxychloroquine comme traitement de la COVID-19 (Fiolet et al. 2020), la polémique est toujours vivante en 2020. Le problème dépasse le cas particulier de l'efficacité d'un médicament.
La première étude sur l'hydroxychloroquine faite in vitro a montré un effet inhibiteur du produit sur le coronavirus concerné. Raoult a décidé que le médicament était efficace et l’a prescrit largement. Suite à ses prescriptions, il a fait une étude clinique, mais elle était biaisée. Des essais cliniques bien menés ont montré l’inefficacité. L’affaire aurait pu en rester là. Le Pr Raoult a fait un pari. Ce en quoi il est légitime. Toute hypothèse est un pari. Mais il est passé de la science à l’opinion. Il a déclaré son pari gagnant avant de l'avoir testé et il a répandu la nouvelle. Dans les sciences et en médecine, de nombreuses hypothèses sont testées négativement et l'on passe à une autre hypothèse.
Raoult n'a pas vraiment testé son hypothèse et l'a déclarée vraie. Il s'est mis au-dessus des règles, que ce soient les règles légales de prescription et des règles scientifiques permettant une validation acceptable. Ceci entre dans un contexte contemporain particulier. La différence entre l’opinion subjective et la validation scientifique s’est érodée. C’est là où nous voulons en venir. Cette affaire de croyance, ou pas, dans la chloroquine nous ramène au problème de règne de la post-vérité avec cette forme particulière et pernicieuse de relativisme pour laquelle toutes les opinions se vaudraient.
Le cas Raoult a transformé un débat scientifique banal en une controverse publique où les médias, les commentateurs publics et même les supporters de club de football (l'Olympic de Marseille) sont intervenus, comme s'ils avaient des compétences égales à celles des scientifiques spécialisés. Tout un chacun s'est considéré légitime à prendre des positions dans un débat scientifique difficile, sans argument scientifique.
Ils y ont été encouragés par le professeur Raoult lui-même qui s'est autorisé à faire des déclarations péremptoires fondées sur des études très insuffisantes (petit test de laboratoire in vitro et aucune étude clinique). C'est un procédé typiquement charlatanesque (vanter une potion magique dont on est l'inventeur) qui décrédibilise l'autorité de la science déjà bien mal en point. Par chance, la communauté scientifique a résisté et des études sérieuses ou pu être menées.
À l’ère de la post-vérité et des réseaux sociaux, les citoyens en quête de repères errent dans un dédale d’opinions infondées, de croyances illusoires. Un mouvement idéologique informel diffuse une conception délétère où la science n’a pas plus de valeur que la croyance ou la religion. Or la science a vocation à donner des informations les plus justes possibles, c'est-à-dire adéquates à la réalité. Pour ce faire, elle applique une méthode qui a des exigences fortes. Connaître les tenants et aboutissants de la méthode scientifique éviterait de croire que « tout se vaut » (Paul Feyerabend) en matière de connaissance efficace. Pour les connaître, il faudrait qu’ils soient largement enseignés.
S'agissant de la médecine, les informations scientifiquement établies sont ensuite utilisées pour mettre en œuvre les politiques de santé publique. Elles ne sont pas du ressort des scientifiques, mais des autorités administratives et politiques. En France, elles se sont quelque peu délégitimées par des déclarations contradictoires, mais, elles ont aussi résisté et, après des hésitations. Finalement, une politique adaptée a été menée en France et plus généralement en Europe.
Aux USA, le scepticisme a prévalu. Le point culminant de la désinformation a probablement été atteint par Donald Trump qui contestait la contagiosité de la Covid 19 (unanimement reconnue). Comment le citoyen moyen pourrait-il se renseigner sérieusement et croire les autorités compétentes, si leur président exhibe sans vergogne son ignorance en public et doute des évidences ? L'ayant contractée, il a finalement déclaré : « j'ai appris que la Covid était contagieuse ». Autrement dit, il a donné l'exemple de l'ignorance, du scepticisme, des affirmations sans fondement. La contestation-déconstruction postmoderne a ouvert la porte à la post-vérité, à la dictature des tribuns de café du commerce, qui règnent grâce aux médias et aux réseaux sociaux.
Webographie :
Fiolet, T., Guihyr, A., Rebeaud, M. Mulot,M., Peiffer-Smadja, N. and Mahamat-Saleh, Y. 2020. “Effect of hydroxychloroquine with or without azithromycin on the mortality of COVID-19 patients : a systematic review and meta-analysis”, Clinical Microbiology and Infection, https://doi.org/10.1016/j.cmi.2020.08.022.
Juignet, Patrick. De la postmodernité à la post-vérité. Philosophie, Science et Société. 2020. https://philosciences.com/post-verite-propagande