Dans un article intitulé La banalité du mal : ce que dit la recherche en psychologie sociale (2025), Johan Lepage soutient que les attitudes politiques et les attitudes au sein d'un groupe social sont corrélées. Citons-le :
« Une manière d’analyser une corrélation entre deux variables est de postuler l’existence d’une source de variation commune, c’est-à-dire d’une variable plus générale dont les changements s’accompagnent systématiquement d’un changement sur les autres variables. Dit autrement, si deux variables sont corrélées, c’est parce qu’elles dépendent d’une troisième variable. La recherche en psychologie sociale suggère que cette troisième variable puisse être les attitudes autoritaires.
Cette notion "attitude autoritaire" regroupe des attitudes exprimant des orientations hiérarchiques complémentaires :
- l’orientation à la dominance sociale, une attitude orientée vers l’établissement de relations hiérarchiques, inégalitaires entre les groupes humains ;
- l’autoritarisme de droite orienté vers l’appui conservateur aux individus dominants.
La recherche en psychologie expérimentale, en génétique comportementale et en neurosciences montre que ce sont les attitudes autoritaires, plus que toute autre variable (personnalité, éducation, culture notamment), qui déterminent les attitudes intergroupes, les attitudes politiques, et ainsi le comportement plus ou moins coercitif, inégalitaire, et intolérant des personnes ».
On notera une bizarrerie qui introduit un biais : la qualification « de droite », pour l’appui conservateur aux individus dominants. Il vaudrait mieux appeler cette attitude légitimiste, pour éviter d'entrer dans une discussion politique inextricable sur la droite et la gauche. La dominance sociale et l'autoritarisme sont fréquents chez ceux qui contestent l'ordre existant et sont par conséquent non légitimistes. La décorrélation de la personnalité, de l'éducation, de la culture, du climat sociétal est contestable. Elle vient d'un principe de méthode qui laisse de côté la genèse de l'« attitude autoritaire ».
Une telle caractéristique individuelle n'est pourtant pas sui generis, ni ne constitue une essence qui, mystérieusement, se déposerait en certaines personnes. Elle dépend de la construction de la personnalité, elle-même influencée par l'éducation, la culture et des facteurs biologiques. Sur ce point, l'influence de l'autorité parentale et des styles éducatifs est importante. L'attitude autoritariste, que l'on peut aussi nommer l'appétence excessive pour exercer une autorité, existe assez largement, mais il n'y pas d'étude qui dise à quel degré et dans quel pourcentage de la population. Cette attitude autoritaire excessive, qu'elle soit légitimiste ou contestatrice, cause un malaise social chez ceux qui la subissent.
La capacité à faire preuve d'autorité est un trait de caractère normal. L'autoritarisme en est une accentuation pathologique, qui peut prendre des aspects extrêmes. On remarquera, à l'inverse, que le manque d'autorité est un handicap qui pose des problèmes dans la vie sociale et pour l'éducation des enfants. L'absence d'autorité parentale est l'une des causes de la dérive désocialisante de nombreux jeunes. On constate aujourd'hui une recrudescence de la violence, une crise de l'autorité, une perte des repères citoyens dans certaines parties de la population en France et en Europe. Ce qui en retour provoque une appétence collective pour plus d'autorité. La conséquence est un attrait pour des personnages politiques à « attitude autoritaire » pour reprendre le terme de Lepage.
Le dernier rapport de V-Dem* constate que pour la première fois depuis plus de vingt ans, le monde compte davantage d’autocraties que de démocraties. Trois quarts des habitants de la planète vivent aujourd’hui sous un régime autoritaire. Ce recul démocratique touche aussi l’Europe de l’Est et les États-Unis. Selon le Cevipof, 41 % des Français seraient prêts à tester un pouvoir fort, centralisé, moins démocratique. Les exemples anciens et récents des désastres humains provoqués par les régimes autoritaires ne semblent avoir aucun impact. Les populations d’Europe occidentale, qui vivent depuis longtemps dans des démocraties libérales, sous-estiment les méfaits des pouvoirs autoritaires.
Le grave problème qui touche l'humanité est que de nombreuses personnes, sous l'influence d'une autorité (qu'elle soit excessive ou pas) peuvent faire, ou le bien, ou le mal. Nous entendons bien et mal au sens pragmatique de conduites intentionnelles qui, soit favorisent la vie et l'épanouissement, soit causent la mort, la souffrance, l’indignité. Les expériences célèbres de Stanley Milgram concernant le mal exercé sous l'influence d'une autorité sont impressionnantes.
Cet auteur a publié en 1964 la première recherche expérimentale sur la soumission à l’autorité. Son protocole consiste à demander à des personnes volontaires d’infliger des décharges électriques à un autre participant qui pourraient aller jusqu’à infliger un choc de 450 volts. Dans ces circonstances, 62,5 % des participants obéissent, allant jusqu’à administrer plusieurs chocs de 450 volts à une victime ayant sombré dans le silence après avoir poussé d’intenses cris de douleur. Ce résultat a été refait de nombreuses fois dans plus d’une dizaine de pays auprès de plus de 3 000 personnes, avec le même résultat.
Cela signifie que la majorité des personnes sont prêtes à faire le mal si une autorité leur en donne l'ordre. Inversement, la violence se répand spontanément en l'absence d'une autorité régulatrice qui fait respecter les règles de respect des autres et de vie en commun. Une vie sociale décente demande un équilibre dans l'exercice de l'autorité. Comme nous le répétons souvent, l'humanisme ne va pas de soi. C'est une conquête sur la barbarie qui se joue d'abord sur le plan éducatif et culturel.
Sources :
Johan Lepage. La banalité du mal : ce que dit la recherche en psychologie sociale. 2025. https://theconversation.com/la-banalite-du-mal-ce-que-dit-la-recherche-en-psychologie-sociale-222938
John Duckitt Chris G. Sibley. The Dual Process Motivational Model of Ideology and Prejudice. 2017. https://www.researchgate.net/publication/311067311
Thomas Haarklau Kleppesto et coll. The genetic underpinnings of right-wing authoritarianism and social dominance orientation explain political attitudes beyond Big Five personality. 2024. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/jopy.12921
2009 Jun:1167:174-81. doi: 10.1111/j.1749-6632.2009.04508.x.
Joan Y Chiao 1, Vani A Mathur, Tokiko Harada, Trixie Lipke. Neural basis of preference for human social hierarchy versus egalitarianism. 2009. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19580563/