Définition, origine et enjeux philosophiques.

Dans le sillage flou de la déconstruction s’est formée une tendance épistémologique dite « nominaliste épistémologique », terme repris de la querelle médiévale sur les universaux. Cette épistémologie prône une position non réaliste dans les sciences humaines et sociales. Elle critique les approches réalistes qui postulent l'existence d'entités sociales, psychologiques ou culturelles indépendantes de notre conceptualisation. Le nominalisme épistémologique rejette l'idée de réalités objectives dans ces domaines du savoir. Cette attitude n’est pas dépourvue de fondement, mais elle est excessive.

Les sciences humaines, sociales et de la culture délimitent des champs de la réalité empirique sans réelle indépendance, car ils sont produits par l’action humaine. L’objectivation est plus délicate et les méthodes pour y parvenir doivent ruser avec les dilemmes posés par la quasi-identité entre l’observateur et l’observé, et le redoublement d’une construction de faits eux-mêmes construits. Dans ce contexte, le nominalisme est une position selon laquelle les catégories, les théories ou les modèles que nous utilisons pour comprendre le monde social ou humain ne sont que des conventions plutôt que les reflets d'une réalité solide. Les défenseurs de ce point de vue sont sceptiques quant à l'idée qu'il existe des structures sociales ou des entités indépendantes de notre manière de les conceptualiser.

Ce nominalisme épistémologique contemporain diffère du nominalisme médiéval ou classique, qui portait essentiellement sur la question des universaux et de leur existence. Alors que le nominalisme médiéval soutenait que les universaux n’existent que comme des mots ou des constructions mentales, le nominalisme épistémologique contemporain affirme que les concepts théoriques (dans les sciences humaines) ne correspondent pas à des réalités indépendantes.

Si la réalité est construite par l’expérience, elle n’en comporte pas moins des possibilités d’objectivation. Que nos connaissances sont construites n’empêche pas la réalité de résister. L’objectivité doit contrer les leurres créés par la quasi-identité entre l’observateur et l’observé, ls pièges de la subjectivité et la particularité de faits produits humainement et socialement. Pour y parvenir plusieurs procédés sont nécessaires. Tout d’abord la réflexivité, c'est-à-dire le retour du chercheur sur sa méthode et ses concepts pour les corriger de leur partialité. Une analyse et une compensation de sa subjectivité. Ensuite des comparaisons historiques ou interculturelles, permettant de voir les différences. La répétition au fil des générations finit par produire des descriptions assez sûres des faits à expliquer. Une certaine objectivité est possible. 

Le nominalisme s’associe fréquemment à une approche pragmatique. Plutôt que de chercher à déterminer si les concepts scientifiques ou les théories correspondent à des réalités objectives, le nominalisme se concentre sur leur utilité pour résoudre des problèmes pratiques ou pour organiser l'expérience. La vérité est délaissée au profit d’une mise en avant de l'effet du contexte culturel ou social. Cet aspect n’est pas critiquable en soi. Il l’est s’il prétend se substituer à l’approche scientifique. Nous verrons au chapitre sept qu’une approche philosophique pragmatique a un intérêt pour décrire ce qui se passe et en juger.