Définition, origine, enjeux philosophiques et épistémologiques.

La notion d'organicisme apparait dans la philosophie et l’historiographie des sciences aux XIXᵉ et XXᵉ siècles. Il qualifie les doctrines qui considèrent le vivant comme immanent, car il est issu de l'organisation spontanée de ce qui le compose.

C’est chez Georges Canguilhem que l’expression « pensée organiciste » acquiert un statut conceptuel précis (La Connaissance de la vie, 1952). Canguilhem distingue trois grands modèles explicatifs du vivant : le mécanisme, le vitalisme et l’organicisme.

« Entre le mécanisme qui réduit le vivant à l’inerte, et le vitalisme qui sépare radicalement la vie de la matière, l’organicisme propose de concevoir l’organisation comme propriété fondamentale de la vie. » (La Connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1952, p. 129).

Canguilhem confère une portée épistémologique et ontologique au concept. Ce n'est pas un simple modèle biologique : il devient une catégorie épistémologique permettant de penser le vivant comme forme d’organisation irréductible à la physique.

Canguilhem cite expressément Claude Bernard et von Bertalanffy comme représentants modernes de cette orientation.
Il ajoute que l’organicisme est une « troisième voie », refusant aussi bien la réduction physico-chimique que l’hypostase d’un principe vital.

Le terme a été repris de façon programmatique par Ludwig von Bertalanffy, fondateur de la théorie générale des systèmes (Problems of Life, 1952). Cet auteur se présente explicitement comme organiciste. Bertalanffy emploie organicism en anglais, et la traduction française organicisme s’est imposée dans la littérature philosophique et biologique francophone. Selon lui :

« Le système organique est la clé de l’explication biologique. L’organicisme que nous défendons se distingue à la fois du vitalisme et du mécanisme ; il exprime une vision unitaire du monde fondée sur l’organisation. » (Théorie générale des systèmes, trad. fr. Dunod, 1973, p. 42).

Bertalanffy est anti-réductionniste. Son organicisme, qu’il qualifie de systémique, repose sur la notion d’équilibre dynamique et de régulation interne. C’est déjà une théorie de l’organisation et non de la substance, annonçant les futurs modèles d’auto-organisation du biologique.

Jean Gayon, philosophe des sciences, spécialisé dans les sciences du vivant, propose une clarification historiographique de l'emploi de la notion. Dans l'article « Les figures de l’organicisme » (in Philosophie de la biologie, PUF, 1993, p. 67-92), Jean Gayon propose une analyse historico-critique du concept.
Il distingue trois formes :
— L’organicisme classique (Emmanuel Kant, Hans Driesch),
— L’organicisme physiologique (Claude Bernard, Bernard Pérez),
— L’organicisme systémique (Ludwig von Bertalanffy, Walter Bradford Cannon, Norbert Wiener).

Pour Gayon :

« L’organicisme moderne s’identifie à la reconnaissance du rôle central des notions d’organisation, de régulation et de système dans l’explication biologique » (ibid, p. 71). 

Cette définition rejoint la posture d’Henri Atlan dans les années 1970, même si celui-ci préfère parler d’auto-organisation et non d'organicisme. Pour notre part, nous dirions que le niveau biologique émerge par auto-organisation, ce qui est proche de l'organicisme moderne.

Sur le plan terminologique, le mot organicisme est employé avec prudence dans la biologie contemporaine : il a parfois servi à désigner des formes de naturalisme holiste ou de biologisme sociologique (notamment chez Spencer). Chez Canguilhem, Bertalanffy et Atlan, il désigne au contraire une position antiréductionniste fondée sur la primauté de l’organisation.

Voir aussi les définitions d'organisation et d'émergence.