Le terme hikikomori (ひきこもり, littéralement « se retirer, se cloîtrer ») désigne un phénomène de retrait social. Tamaki Saitō, psychiatre japonais, est l'un des premiers à avoir théorisé le phénomène dans son ouvrage Hikikomori: Adolescence Without End , traduit en anglais en 2013. Il y décrit le hikikomori comme une « forme moderne d'adolescence prolongée », distincte des troubles psychiatriques classiques. Michael Zielenziger, journaliste, dans Shutting Out the Sun: How Japan Created Its Own Lost Generation (2006), raconte le phénomène hikikomori à un malaise de la modernité japonaise.

La conduite qualifiée d'hikikomori est un isolement prolongé volontaire dans l'espace domestique, touchant surtout des adolescents et de jeunes adultes. Le ministère japonais de la Santé, du Travail et des Affaires sociales définit comme hikikomori une personne qui se retire de la société et reste chez elle presque en permanence. Ce jeune ne va pas à l'école, ne travaille pas et n'a pas eu de relations sociales pendant au moins six mois. Ce retrait ne s'explique pas directement par une autre pathologie psychiatrique.

Ce phénomène touche principalement des jeunes hommes (environ 70 à 80 % des cas). Il est lié à une anxiété sociale, une honte ou un sentiment d'échec vis-à-vis des attentes sociales. La dimension sociale est prépondérante. Sont évoqués des facteurs culturels et sociaux tels que la pression scolaire et sociale intense dans la société japonaise, le rôle de la famille, en particulier des mères infantilisantes, rendant dépendant (dite « amae » selon Takeo Doi, The Anatomy of Dependence, 1973). Dans ce cas, il s'agit d'une influence relationnelle ayant une conséquence psychique. On évoque aussi l'absence de prise en charge des jeunes en difficulté et les transformations des modèles familiaux et professionnels au Japon.

Une conception intéressante situe le phénomène comme un vaste syndrome, un peu flou, à cheval sur une pathologie légère ou importante et que l'on peut s'attacher à diverses causes qui peuvent se combiner diversement (*).

syndrome d'Hikikomori

Raphaël Ezzraty, psychiatre et pédopsychiatre français a obtenu une bourse de la JSPS (Japan Society for the Promotion of Science) pour poursuivre au Japon une étude comparative du phénomène hikikomori. Il a fait récemment une présentation au Séminaire « Histoire et épistémologie de la psychopathologie » de l'ENS, sur le comportement de retrait social des jeunes initialement observé au Japon.

En croisant psychiatrie clinique, biologie, histoire, sociologie et anthropologie, Raphaël Ezzraty montre comment ce phénomène s’inscrit dans une niche écologique culturelle (I. Hacking) et peut être envisagé comme une maladie mentale transitoire, entre désaffiliation (R. Castel), modèles d’inconduite (R. Linton), désengagement social et stratégies lentes d’adaptation évolutive. Sur le plan développemental, elle mobilise l’analyse de l’« adolescence sans fin » (T. Saito), la théorie de l’attachement, la notion de moratorium (E. Erikson), et sa reprise dans la figure du moratorium ningen (« être humain en moratoire ») du psychiatre Okonogi Keigo. 

L'auteur note un parallèle entre les hikikomoris (reclus), les NEETs japonais, britanniques ou européens, les jeunes hobos, et autres figures contemporaines du retrait volontaire ou de l’errance.  Il remarque des résonances avec la culture populaire, la littérature, l’histoire religieuse et mystique et avec l’art expérimental.

En faisant dialoguer les formes contemporaines du repli avec les figures classiques du retrait lettré et spirituel — à la manière des reclus taoïstes, des moines bouddhistes, des renonçants en Inde ou des fous de Dieu dans l’Islam médiéval,   Raphaël Ezzraty propose une lecture croisée des sous-cultures japonaises, américaines et européennes (D. Hebdige) pour interroger ce que ces retraits et errances disent du devenir adulte, du lien social et de la santé mentale dans les sociétés modernes, à la croisée du social et du psychologique.

Ce phénomène de retrait illustre la multifactorialité des conduites humaines. Se conjuguent ici des aspects rationnels (mère infantilisante), sociaux (société non intégrative), culturels (mode de vie individualiste, possibilité de repli facilité). Ce à quoi s'ajoutent parfois des causes pathologiques comme des maladies (schizophrénie autisme) ou des troubles de la personnalité. 

En France le gouvernement interpelé par une question écrite d'un député a fait la réponse pour le moins très générale (27 mai 2025) que nous résumons ci-dessous : « En l'absence d'inscription spécifique de ce diagnostic dans les classifications internationales, le retrait social de l'enfant, de l'adolescent ou du jeune adulte est encore mal défini sur le plan psychopathologique et difficilement évaluable sur le plan épidémiologique ».

Quant à l'interprétation selon laquelle cette attitude mettrait au défi Blaise Pascal, pour qui « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre »**, elle laisse perplexe. Le retrait pathologique n'a rien à voir avec la distance du philosophe face à l'agitation humaine. 

Note :

* Modèle de Takahiro A. Kato, Shigenobu Kanba, Alan R. Hikikomori : Compréhension multidimensionnelle, évaluation et perspectives internationales futures. Psychiatrie et neurosciences cliniques . 2019. https://doi.org/10.1111/pcn.12895 . Ces auteurs supposent que même en l'absence d'un diagnostic clair de troubles psychiatriques, de nombreuses personnes atteintes de hikikomori se trouvent dans une « zone grise » sans diagnostic formel, mais dans une souffrance mentale.
** Dans une revue qui fait commerce de la philosophie.
 

Bibliographie :

Ezzraty Raphaël. Hikikomori. Idiome de détresse, de fuite ou de révolte ? Chaire de Philosophie à l'Hôpital . https://www.youtube.com/watch?v=GUhoot2ZSQI
      — Séminaire de l'ENS d'Histoire et épistémologie de la psychopathologie, Hikikomori : histoire et clinique d'un rétrécissement du milieu de vie, 17 juin 2025.
Takahiro A. Kato, Shigenobu Kanba, Alan R. Hikikomori : Compréhension multidimensionnelle, évaluation et perspectives internationales futures. Psychiatrie et neurosciences cliniques . Français 2019. https://doi.org/10.1111/pcn.12895
Tamaki Saitō (1998), Hikikomori : L'adolescence sans fin, University of Minnesota Press, 2013.
Teo Alan et al., Une nouvelle forme de retrait social au Japon : une revue de Hikikomori, International Journal of Social Psychiatry , 61(2), 2015, pp.
Zielenziger Michael,  Shutting Out the Sun : Comment le Japon a créé sa propre génération perdue, New-York, Vintages books, 2006.